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Mosca c. SDLC Les Tours du Château Horizontal, 2021 QCCA 874
Les droits des copropriétaires sont protégés par plusieurs dispositions, dont les articles 1056 et 1063 du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). En principe, chaque copropriétaire dispose de sa fraction ; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes (art. 1063 C.c.Q.). Ces droits peuvent toutefois être restreints, à condition que ces restrictions soient justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation (art. 1056 C.c.Q.).
Le droit de louer est un attribut du droit de propriété. En nier plutôt qu’en aménager l’exercice suppose de très sérieuses justifications.
C’est sur ces bases que la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur la validité d’un règlement adopté par une large majorité des copropriétaires de « les Tours du Château ». Il s’agit d’une copropriété haut de gamme de 95 unités privatives constituée en projet intégré (une initiale et deux concomitantes) et située à proximité du Château Vaudreuil et du Lac des Deux-Montagnes à Vaudreuil-Dorion (« Immeuble »).
La déclaration initiale définit la destination de l’Immeuble comme étant de vocation résidentielle. Pour l’essentiel, il en est de même des deux déclarations concomitantes. La déclaration initiale prévoit expressément le droit de louer les unités privatives, tandis que les déclarations concomitantes précisent que la location est permise pour un terme minimum d’un an. Lors d’une assemblée des copropriétaires, il fût décider d’ajouter une restriction additionnelle formulée comme suit : « La Location des Fractions est autorisée pour un terme d’un (1) an minimum, pourvu que le nombre total de Fractions sous location ne dépasse pas 10 %. Cette limite de 10 % ne s’applique pas aux Fractions sous location à la date du présent amendement jusqu’à la vente de celle-ci par le propriétaire actuel. » (l’ajout est souligné).
Un vote est pris satisfaisant aux exigences de majorité simple de l’article 1096 C.c.Q. ainsi que la majorité représentant les trois quarts des voix des copropriétaires prévue à l’article 1097 C.c.Q., mais ne rencontre pas celles de l’article 1098 C.c.Q. qui requiert un vote à la majorité des trois quarts des copropriétaires représentant 90 % des voix de l’ensemble des copropriétaires.
Une demande en annulation d’une décision d’une assemblée des copropriétaires et en inopposabilité est déposée Par jugement rendu le 18 avril 2019, la Cour supérieure rejette la demande en citant l’arrêt Kilzi[1] et s’inspirant de la conception élargie de la destination de l’immeuble qui y est développée. La juge de première instance soulignait le caractère luxueux de l’Immeuble et le fait que les résidents avaient à cœur son entretien, avant de conclure que le fait de limiter le droit de location à 10 % des unités de la copropriété ne constituait pas la négation du droit de location, mais plutôt un aménagement ou un encadrement de l’exercice d’un tel droit dans le respect de la destination de l’Immeuble.
Avec égards, la Cour d’appel a estimé qu’elle avait tort en indiquant ce qui suit : « Les restrictions apportées au droit de location des copropriétaires constituent bien plus qu’un simple aménagement ou un encadrement du droit de location. Elles font passer le nombre d’unités pouvant être mises en location de 100 % à 10 % et donne une priorité aux propriétaires qui louent déjà leur unité (18 % au moment du vote), ce qui a pour effet le jour du vote de nier concrètement à 82 % des copropriétaires le droit de louer leur unité, alors qu’il s’agit de l’un des attributs du droit de propriété protégé par l’article 1063 C.c.Q. et prévu expressément dans la Déclaration de copropriété. Ces restrictions ne peuvent être justifiées par la destination de l’immeuble suivant une conception élargie qui tiendrait compte de son caractère luxueux ni par le fait que ses résidents ont à cœur son entretien. La Déclaration de copropriété prévoit déjà l’encadrement du droit de location par l’exclusion de la location à court terme, ainsi que de l’interdiction d’exercer une activité professionnelle susceptible de nuire à la tranquillité des lieux. La vocation « résidentielle » et le terme « résidence » réfèrent à l’action de rester à demeure en un endroit, ainsi qu’à des habitations d’un certain luxe, mais sans y associer la qualité spécifique de propriétaire plutôt que de locataire ».
Joulani-Varzeghani c. SDC Le Frontenac II, 2021 QCTDP 16
Une déclaration de copropriété est un document juridique qui soumis dans sa rédaction et son application au respect de la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte »). La protection que confère ce dernier texte n’est toutefois pas sans limite, ce qu’a eu l’occasion de rappeler le Tribunal des droits de la personne.
Le contexte était le suivant : Une copropriétaire se déplaçant avec un quadriporteur à l’occasion avait pris l’habitude de le stationner dans le garage (partie commune) pour le recharger. Alors que le syndicat faisait preuve de compréhension en la laissant utiliser sa place de stationnement à cet effet, il a toutefois été demandé à la copropriétaire de ne pas utiliser les prises électriques communes pour recharger son véhicule, afin que cette dépense n’incombe pas à tous les copropriétaires. La déclaration de copropriété étant rédigée de façon neutre, ses dispositions n’étaient pas en cause et il s’agissait plutôt d’un débat sur la décision de gestion du conseil d’administration. La copropriétaire a plaidé que le syndicat la discriminait en lien avec son handicap, motif protégé par Charte et anéantissait donc son droit à l’égalité en lui refusant l’utilisation de ces prises électriques communes. Le conseil d’administration a proposé certains compromis à la copropriétaire, mais celle-ci s’est bornée à réclamer ses droits garantis par la Charte et réclamait une décision officielle de la Commission des droits de la personne.
Le syndicat s’est défendu en plaidant que les politiques avaient été appliquées de la même façon pour tous ses copropriétaires, mais la Cour a dû rappeler que l’égalité protégée par la Charte peut exiger à l’occasion que certaines personnes soient traitées différemment afin de respecter leurs droits fondamentaux. Bien que cette défense n’ait pas été acceptée, la copropriétaire n’a pas obtenu gain de cause. La violation d’un droit ne suffit pas s’il n’y a pas d’inconvénient ou de dommage. Le handicap de la copropriétaire n’était pas remis en cause, mais celui-ci ne crée pas de droit absolu permettant d’ignorer ceux des autres copropriétaires et le pouvoir de gestion du syndicat. En ce sens, la copropriétaire n’a pu soulever autre chose qu’une simple préférence personnelle en lien avec le fait de charger son quadriporteur dans le garage et elle n’a pas su prouver que de le charger dans sa partie privative lui causerait quelconque souci.
Le Tribunal des droits de la personne a estimé nécessaire de rappeler ce qui suit :
- D’une part, la Charte a primauté sur la déclaration de copropriété d’un immeuble. Il incombe donc au Syndicat d’en appliquer les dispositions dans le respect des libertés et droits fondamentaux, dont le droit à l’égalité réelle des personnes en situation de handicap. Pour ces personnes, il s’agit d’un droit et non d’un privilège. Le respect de ce droit à l’égalité peut exiger, en certaines circonstances, que le copropriétaire en situation de handicap soit traité différemment des autres copropriétaires.
- D’autre part, le copropriétaire concerné à une obligation de collaboration avec le Syndicat incombe. Cela implique de faire preuve d’ouverture, de participer à la recherche d’une solution raisonnable et de prendre le temps d’examiner les mesures d’accommodement qui lui sont proposées. Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part.
[1] Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 boul. l’Acadie, 2001 CanLII 10061 (QC CA)