Par Me Pierre-Alexis Bombardier et Me Clément Lucas
En 2011, la Cour d’appel du Québec¹ énonçait ce qui suit : « par l’expression de leur volonté, les parties à une déclaration de copropriété (« Déclaration ») peuvent en modifier informellement la teneur. (…) Par souci de stabilité pour leurs rapports juridiques et leurs liens de voisinage, on ne peut qu’inviter les copropriétaires à prendre le temps de formaliser toute modification de leur déclaration de propriété selon la procédure qu’elleprévoit lorsque de nouvelles pratiques ou des incertitudes émergent ». Cette décision de la plus haute juridiction québécoise ouvrait la voie au concept de modification tacite à la Déclaration, lequel fût accueilli fraichement par la doctrine et les praticiens.
En 2022, cette même Cour indique à l’inverse : « si pour modifier un acte constitutif de copropriété et l’état descriptif des fractions, un acte notarié en minute inscrit au registre foncier est nécessaire, il est difficile de concevoir qu’une modification tacite émanant du comportement des parties non constatée dans un acte notarié puisse avoir un quelconque effet ».
Il y a tout lieu de considérer qu’il s’agit-là d’un revirement de jurisprudence, intervenant après que l’article 1060 C.c.Q. ait lui été modifié par le projet de loi 16². Mais là n’est pas le seul intérêt de la décision rendue par la Cour. Elle balise les pouvoirs d’un promoteur quant à l’attribution de parties communes à usage restreint ou leurs modifications, une fois le Syndicat constitué par la publication de la Déclaration.
Dans les faits, c’est plus de 18 mois après cette publication, que Jared Borwn fait l’achat d’une fraction qui comprend l’usage restreint de l’une des deux terrasses à être construites sur le toit, terrasse d’une superficie d’environ 30 m2. Par la suite, Brown et le promoteur conviennent que la superficie sera d’environ 150 m2. Pourtant, les deux fractions ayant l’usage restreint d’une terrasse ont une valeur relative similaire alors que l’une dispose d’une terrasse bien plus vaste que l’autre.
De plus, le promoteur ne possède au moment de cet agrandissement que 2 fractions (dont celle de Brown) sur un total de 40. Il ne détient plus la majorité prévue à l’article 1097 C.c.Q. Ainsi, ni le promoteur ni même son représentant à titre d’administrateur provisoire ne possède la capacité de déroger à la Déclaration ou de modifier celle-ci unilatéralement en faveur d’un copropriétaire. Comme l’agrandissement empiète sur le toit et transforme l’espace commun en terrasse à usage exclusif, cet empiètement porte préjudice au droit de jouissance de l’ensemble des copropriétaires.
Ainsi, sans l’assentiment de la majorité des copropriétaires, représentant les trois quarts des voix de tous les copropriétaires présents ou représentés à l’assemblée, la modification de l’acte constitutif de copropriété ou de l’état descriptif des fractions est impossible. Par ce jugement, la Cour d’appel consacre, de nouveau, l’importance de « l’article 1097 C.c.Q. qui vise (…) à protéger le droit de propriété de chaque copropriétaire sur les parties communes ». Seule l’assemblée délibérante validement constituée peut décider de transformer, agrandir ou améliorer les parties communes.
Un Syndicat ne peut pas être lié, en ce qui concerne les parties communes, par ce qu’un promoteur peut dire ou promettre à l’acheteur au moment de la vente.
Deux décisions de la Cour supérieure du Québec rendues à quelques mois d’intervalle adoptent une approche en apparence radicalement opposée relativement au délai dans lequel une décision d’un syndicat peut faire l’objet d’un recours en annulation. Ces deux décisions traitent d’un recours contre une décision de l’assemblée (art. 1103 C.c.Q.) mais les mêmes paramètres pourraient s’appliquer à l’égard d’une décision du conseil d’administration (art. 1086.2 C.c.Q.).
Dans Gaudette, la Cour fait une distinction entre les contestations de fond d’ordre public et les autres en indiquant ce qui suit : les « vices de fond contraires aux dispositions d’ordre public, principalement aux conditions de convocation, de tenue d’assemblée et de quorum (…) tombe à l’extérieur du champ d’application de l’article 1103 C.c.Q. et du délai de déchéance de 60 jours (comprendre 90 jours en date du présent article) (…). Il s’agit plutôt d’un recours personnel soumis au régime général de prescription et qui se prescrit par trois ans à compter de la connaissance par la demanderesse de la cause de l’invalidité, suivant les termes de l’article 2925 C.c.Q.».
À l’inverse dans Gillette Lofts, la Cour s’en tient au délai de déchéance prévu à l’article 1103 et constate qu’il a été dépassé de deux jours pour en conclure que « le délai en est un d’ordre public de direction. Ainsi, la demande de 9165 devrait donc être rejetée pour ce seul motif ». Au passage, elle traite des pouvoirs conférés par l’article 1103.1 C.c.Q. en indiquant « le recours prévu à l’article 1103.1 C.c.Q. ne vise pas l’attaque du résultat obtenu, mais bien l’empêchement à tenir un vote suivant la proportion prévue ».
Il y a peu de délais de déchéance dans le C.c.Q. car les conséquences en sont drastiques. Il ne souffre ni suspension, ni interruption³. À son expiration, le droit est éteint⁴. Le Tribunal a l’obligation de le soulever même d’office⁵. Il s’agit d’un choix explicite du législateur et en copropriété il ne fait pas de doute par l’usage du mot déchéance. De plus, il s’inscrit dans la logique d’un recours qui a la nature d’une révision judiciaire, en temps normal enfermée dans un délai de raisonnable de 6 mois.
Dans Gaudette, la Cour ne semble tenir compte ni de l’un, ni de l’autre, créant une zone d’insécurité importante et une ambiguïté peu souhaitable. Certes, les motifs de contestation n’étaient pas les mêmes dans les deux décisions et il y a certainement des distinctions mais en copropriété les majorités en assemblée sont d’ordre public vu les termes de l’article 1101 C.c.Q. Dès lors, un vice de fond d’ordre public nous semble être une voie de contournement majeure au strict délai de déchéance voulu par le législateur tant à l’égard des décisions de l’assemblée que celles du conseil.
2. Voir également à ce sujet : https://www.djclegal.com/actualites-juridiques-janvier-2022/
3. L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J., 2019 CSC 35, par. 134.
4. Équipement Industriel Robert Inc. c. 9061-2110 Québec Inc., 2004 QCCA 10729, par. 47-50.
5. Art. 2878 C.c.Q.