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Résumé
Les auteurs traitent de certains enjeux spécifiques au droit de la copropriété divise en lien avec le développement du télétravail dans le contexte de la crise sanitaire mondiale. En particulier, ils abordent la question de la conformité de ce mode de travail avec la notion de destination de l’immeuble qui est l’une des notions les plus importante du droit de la copropriété divise au Québec.
INTRODUCTION
Depuis le début de la pandémie, le télétravail est devenu courant dans tous les secteurs d’activités ou presque et ce à l’échelle quasi-planétaire.
« La maison doit être pour tout Canadien son refuge ultime »[1]. Cet énoncé de la Cour suprême du Canada a résonné puissamment durant les périodes de confinements plus ou moins strictes que le pays a connu au cours des derniers mois.
Cette situation exceptionnelle a développé, à marche forcée, un mode de travail qui demeure encore important. Selon Statistique Canada, « [l]a pandémie de COVID‑19 a entraîné une hausse significative du télétravail depuis la mi‑mars 2020. Au début de 2021, 32 % des employés canadiens âgés de 15 à 69 ans effectuaient la plupart de leurs heures de travail à partir de la maison, comparativement à seulement 4 % en 2016 »[2].
I– LES PRÉMISSES FONDAMENTALES EN MATIÈRE DE COPROPRIÉTÉ
Le télétravail s’il est techniquement possible en condo comme dans d’autres modes d’habitation, est-il pour autant un droit, de surcroît, sans limite ?
L’article 6 de la Charte des droits et libertés de la personne énonce que « toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi. ».
En matière de copropriété divise, l’article 1056 du Code civil du Québec prévoit spécifiquement que « la déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation. ».
C’est ainsi qu’à titre de copropriétaire ou de locataire ou d’occupant d’une unité de copropriété le télétravail dans et depuis le logement peut impliquer certaines restrictions.
En particulier, la pratique du télétravail ne doit pas aller à l’encontre de la destination de l’immeuble. La Cour d’appel a récemment eu l’occasion de rappelerce suit :
[l]a destination de l’immeuble est sans doute l’une des notions les plus importantes en matière de copropriété divise en ce qu’elle constitue la limite des droits individuels en même temps qu’elle en assure l’ultime protection. Le législateur québécois, à l’instar de son homologue français, en a fait un pilier du système de la copropriété divise. C’est ainsi que les deux principes fondamentaux suivants se retrouvent dans les lois québécoise et française sur la copropriété :
1. La déclaration de copropriété ne peut restreindre ou porter atteinte aux droits des copropriétaires que dans la mesure où cette atteinte est justifiée par la destination de l’immeuble.
2. Chaque copropriétaire doit jouir de sa fraction sans porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l’immeuble.[3]
Lorsqu’une copropriété a une destination exclusivement résidentielle, les copropriétaires et/ou occupants doivent s’assurer de ne pas compromettre la quiétude, ni causer de l’achalandage indu dans l’immeuble ou de trouble anormal de voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q.
II– CONFRONTER LA THÉORIE À LA PRATIQUE : LA RÉALITÉ DU TÉLÉTRAVAIL EN COPROPRIÉTÉ
À titre d’exemple, les tribunaux ont encadré le droit d’usage des copropriétaires dans leur unité de condo, à l’intérieur des immeubles à destination résidentielle, en interdisant :
- la mise en fonction d’une machine à coudre commerciale en raison du bruit causé[4] ;
- l’exercice de la profession d’un psychologue[5] ;
- l’exploitation d’une garderie en milieu familial, et ce, même si cette pratique se faisait selon les normes règlementaires[6].
Dans un jugement plus récent[7], alors que l’exploitation d’une garderie en milieu familial dans une unité de condo n’occasionnait aucune utilisation des parties communes, aucun usage des espaces de stationnement par les parents, ou encore aucun usage de la piscine de la copropriété, la Cour a tout de même prohibé cette exploitation. Elle était d’avis qu’une telle exploitation allait à l’encontre de la destination résidentielle de l’immeuble.
Dans une autre cause semblable[8], le tribunal a affirmé que l’exploitation d’une garderie en milieu familial modifie la destination à caractère résidentiel de l’immeuble, et celle-ci ne peut être expressément permise, à moins que l’assemblée des copropriétaires en décide autrement.
À la lumière de ce qui précède, les activités des copropriétaires dans leur unité de condo peuvent avoir des répercussions non négligeables sur la vie des autres occupants en copropriété, lesquelles doivent être prises en compte.
Ainsi, la pratique du télétravail dans le domicile peut en principe être librement exercée, que ce soit dans le cadre d’un contrat d’emploi ou sous un régime de travail autonome ou même par l’entremise d’une société, dans la mesure où les activités n’affectent pas les autres copropriétaires notamment en contravention avec la déclaration de copropriété et qu’elle soit conforme à la destination de l’immeuble.
En particulier, les activités en télétravail ne doivent, en aucun cas, impliquer des allées et venues de gens ne vivant pas dans l’immeuble et dont l’objet de leur visite résulte d’une activité à visée commerciale ou professionnelle, qu’elle comporte ou non une connotation monétaire. À titre d’exemple, l’immeuble à condos ne doit pas en principe devenir un lieu de transit pour des clients, patients ou partenaires d’affaires, à moins que l’immeuble soit à destination mixte (résidentielle et commerciale) et que ces activités s’exercent dans la partie prévue à cet effet. Une analyse même sommaire de la déclaration de copropriété pourrait être de mise avant de penser à faire du télétravail un mode de fonctionnement à long terme et récurrent ou pire de fonder tout un projet immobilier sur un postulat pouvant être erroné.
Par ailleurs, en travaillant partiellement ou exclusivement de la maison, le spectre des activités exercées pourrait avoir un impact sur la validité de la couverture d’assurance du copropriétaire ou de l’occupant. Selon les recommandations du Bureau d’assurance du Canada, un propriétaire n’est pas automatiquement couvert pour des activités générant du revenu[9]. Ce conseil de prudence est également de mise pour les propriétaires ou occupants d’une copropriété. Il est recommandé de contacter son courtier ou son agent en assurance afin d’être certain que la couverture d’assurance est adéquate dans les circonstances et d’obtenir autant que possible cette confirmation par écrit. Si des changements doivent être opérés (par exemple en raison de matériel professionnel dispendieux ou inhabituel se trouvant sur place), il y aura lieu de souscrire aux avenants requis.
En toute hypothèse, il est recommandé d’aviser le conseil d’administration de la pratique du télétravail. Ce non seulement pour les raisons susmentionnées mais également pour d’autres situations pouvant survenir dans lesquelles l’existence de travailleur sur place peut avoir une incidence sur les activités planifiées par le Syndicat. Prenons l’exemple de travaux à effectuer dans des unités de copropriété. Certes, la Loi prévoit à l’article 1066 C.c.Q. qu’« [a]ucun copropriétaire ne peut faire obstacle à l’exécution, même à l’intérieur de sa partie privative, des travaux nécessaires à la conservation de l’immeuble décidés par le syndicat ou des travaux urgents. Lorsque la partie privative est louée, le syndicat donne au locataire, le cas échéant, les avis prévus par les articles 1922 et 1931 relatifs aux améliorations et aux travaux. Lorsque la partie privative est occupée autrement que par location, le syndicat donne à l’occupant un avis écrit indiquant la nature des améliorations et des travaux non urgents, la date à laquelle ils débuteront et l’estimation de leur durée, ainsi que, s’il y a lieu, la période d’évacuation nécessaire ».
Cependant, s’il est informé le Syndicat peut tenir compte du fait qu’un copropriétaire ou un occupant utilise son logement pour télétravailler certains jours afin de l’accommoder en planifiant les travaux en conséquence. Réciproquement, le copropriétaire ou l’occupant peut tenter pour la durée des travaux de trouver une solution alternative. Le but est d’éviter d’exposer le copropriétaire ou l’occupant au reproche de pas avoir avisé et d’être en quelque sorte l’artisan de son propre malheur ou inversement d’exposer le Syndicat à devoir verser des indemnisations qui pourraient se fonder notamment mais non limitativement sur l’article 1067 C.c.Q. lequel se lit comme suit :
Le copropriétaire qui subit un préjudice par suite de l’exécution des travaux, en raison d’une diminution définitive de la valeur de sa fraction, d’un trouble de jouissance grave, même temporaire, ou de dégradations, a le droit d’obtenir une indemnité qui est à la charge du syndicat si les travaux ont été faits à la demande de celui-ci ; autrement l’indemnité est à la charge des copropriétaires qui ont fait les travaux.
CONCLUSION
Les enjeux discutés ci-dessus ne font pas le tour de la question. Les débuts de la crise sanitaire ont donné lieu à une certaine tolérance dans le contexte d’une situation nouvelle. Désormais, une relative normalité reprend ses droits et avec elle, un plus grand rigorisme quant à l’application des règles. Un syndicat de copropriété qui a pu tolérer une situation comprise comme étant temporaire et liée aux contraintes de santé publique pourrait être en position désormais de demander le respect du contrat liant les parties, à savoir la déclaration de copropriété et des paramètres légaux, tel que l’interdiction des troubles anormaux de voisinage découlant de l’article 976 C.c.Q. Pour le travailleur et à certains égards pour la structure pour le compte de laquelle il évolue, il faut – au-delà d’autres aspects par exemple propres au droit de travail incluant aux accidents pouvant y prendre place – s’assurer du respect des règles au droit de la copropriété divise afin de rendre le projet d’organisation de travail viable.
Me Xiang Xiao et Me Clément Lucas
* Mes Clément Lucas et Xiang Xiao, avocats chez De Grandpré Jolicoeur, concentrent leur pratique en litige, droit immobilier et droit de la copropriété.
[1] R. c. Silveira, 1995 CanLII 89, [1995] 2 R.C.S. 297, EYB 1995-67429, p. 364, par. 141 ; pour une application en copropriété : Schiff c. Kodjo, 2018 QCCQ 9292, EYB 2018-307103, par. 19.
[2] T. MEHDI et R. MORISSETTE, Travail à domicile : productivité et préférences, 1er avril 2021, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/45-28-0001/2021001/article/00012-fra.htm.
[3] Mosca c. SDLC Les Tours du Château Horizontal, 2021 QCCA 874, EYB 2021-391013.
[4] Fournier c. Lesiège, [1986] R.D.I. 798 (C.S.).
[5] Kebs c. Paquin, [1986] R.J.Q. 1139, 1144, EYB 1986-79567 (C.S.).
[6] Bergeron c. Martin, REJB 1997-03026 (C.S.).
[7] Syndicat de copropriété les condos du Domaine c. Martel, 2012 QCCS 6173, EYB 2012-215157.
[8] Nadeau c. Pouliot, 2019 QCCS 3073, EYB 2019-314298.
[9] BUREAU D’ASSURANCE DU CANADA, Covid-19 et assurances : questions et réponses,12 juillet 2021, voir plus particulièrement la section « 8) Comme je suis en télétravail, j’ai décidé de travailler de mon chalet et de mettre mon appartement en location. Suis-je assuré ? », https://bac-quebec.qc.ca/fr/consommateurs/activites/en-route-vers-la-reprise/covid-19-et-assurances-questions-et-reponses/ [en ligne].