Rus c. Farhadnia, 2022 QCCS 1518 :
Des conflits entre occupants d’une même copropriété peuvent dégénérer. Il arrive que la police soit appelée en renfort afin de calmer le jeu. Une telle escalade – somme toute exceptionnelle – se résout généralement par l’arrivée des forces policières. Le présent cas est différent. Il illustre que la violence ne résout rien et que les mensonges peuvent avoir de lourdes conséquences financières et engager la responsabilité de leur auteur. L’histoire commence par un (trop) banal dégât d’eau et se termine par des condamnations financières en passant par de la détention et remise en liberté sous conditions.
Ainsi, le 1er février 2016, tôt le matin, de l’eau coule dans la salle de bain du demandeur (« Demandeur ») et ce dernier monte en investiguer la source chez ses voisins du haut, les défendeurs (« Défendeurs »). Ces derniers discutent et « (l’)’échange s’envenime jusqu’à ce que (…) le demandeur quitte les lieux », et ce, en dégageant « (…) rudement la porte (d’entrée) qui heurte le défendeur. »
Les Défendeurs portent plainte à la police et allèguent que le Demandeur aurait crié, prononcé des menaces de mort à plusieurs reprises et qu’il aurait assené plusieurs coups. Le Demandeur se voit menotté et amené, le jour même, dans un centre de détention. Il est, par la suite, contraint de résider chez son ami afin de respecter une des conditions de sa remise en liberté.
Le 15 septembre 2017, l’avocat du Demandeur remet à l’avocate de la couronne un vidéo des événements du 1er février 2016 (vidéo prise « en secret » par le Demandeur). L’avocate de la couronne constate que les déclarations des Défendeurs ne concordent pas que le Demandeur « n’est pas agressif, ne crie pas, ne menace pas de les tuer trois-quatre fois, ne jure pas 50 fois, ne dit pas 10 fois qu’il irait en prison si sa femme n’est pas là (…) ». Le Demandeur est acquitté.
L’histoire ne s’arrête pas là puisque le Demandeur engage une procédure civile dans le cadre de laquelle il réclame réparation pour les préjudices vécus. La Cour supérieure (honorable Gabrielle Brochu, j.c.s.) doit donc déterminer si les Défendeurs, en agissant comme ils l’ont fait, sont fautifs. En d’autres termes, est-ce que leur comportement s’éloigne de celui d’une personne raisonnable, prudente et diligente ? Le Tribunal conclut que « faire accuser de quelqu’un au criminel de quelque chose qu’il n’a pas commis, tout en le sachant, est grave ». Les Défendeurs ont, déclare la Cour, « faussement rapporter certains faits, tant dans leurs plaintes aux policiers que lors de l’enquête préliminaire » (en d’autres mots ils ont persisté dans leur mensonge). Toutefois, la Cour conclut que le Demandeur, par « son comportement également fautif lors de sa visite chez les Défendeurs (…) a contribué à la réalisation du préjudice pour lequel il réclame réparation ». Un partage de responsabilité est effectué à la hauteur de 40 % pour le Demandeur et 60 % pour les Défendeurs, la Cour estimant que « la faute des défendeurs (est) plus graves que celle du demandeur ». Les Défendeurs sont condamnés à payer à M. Rus la somme de 40 384 $ correspondant au divers préjudice subis par ce dernier (notamment : arrestation et détention, honte, tristesse, souffrance, frais d’hébergement et honoraires extrajudiciaires) en plus de 5 000 $ chacun en dommages punitifs.
Bouchard c. Syndicat de copropriété 20 rue de l’Oseraie, 2022 QCCQ 2000
Tout justiciable même non représenté doit respecter les principes directeurs de la procédure civile et notamment faire preuve de célérité et de proportionnalité lorsqu’ils s’adressent à la Cour. Une procédure ne peut être l’occasion d’une croisade à l’égard des justiciables visés. Dans la présente affaire, l’honorable Luc Hervé Thibaudeau, j.c.q. mentionne « le demandeur (« Demandeur ») gère son dossier comme s’il s’agit d’une commission d’enquête », ce qui résume bien la situation. Conséquemment, il se prononce sur la quérulence du demandeur.
Le Demandeur est copropriétaire et membre du Syndicat de copropriété 20 rue de l’oseraie (« Syndicat »). Il poursuit le Syndicat tout comme la copropriétaire et administratrice du Syndicat. Le Demandeur allègue des irrégularités dans la gestion de la copropriété, prétendant que l’administratrice agirait sans droit et notamment qu’elle ouvrirait et gèrerait des comptes bancaires pour le Syndicat et demandait à l’avocate du Syndicat d’inscrire une hypothèque légale sur son unité, en raison de contributions impayées. La demande introductive d’instance est initialement déposée en Cours Supérieure, puis transférée, en 2017, en Cour du Québec. Le Demandeur s’adonne à d’innombrables procédures en prolongation, modifications, suspensions, remises et demande de transferts. Bref, sept (7) ans s’écoulent et le dossier est toujours bien actif. Le Demandeur dépose, le 30 novembre 2021, une demande pour permission de modifier une nouvelle fois sa procédure. Le jugement à l’étude porte uniquement sur trois demandes de la défense :
- Déclarer forclos M. Bouchard de modifier de nouveau sa demande introductive d’instance
- Déclaration en abus de procédure
- Déclaration de quérulence
La Cour fait droit à ces trois demandes et elle déclare, par le fait même, que le procès doit être d’une durée de deux jours et se tenir sur la base de la demande modifiée du 7 février 2019. Toutefois, le Tribunal fait preuve de prudence et déclare qu’« avant d’imposer la peine capitale à M. Bouchard, il faut quand même s’assurer que, dans son discours, si incohérent soit-il, il n’existe pas quelque élément qui peut avoir quelque pertinence. Le Tribunal ne peut rejeter du revers de la main la demande de M. Bouchard. Il bénéficie comme tous les autres justiciables du droit fondamental d’ester en justice. Si des irrégularités ont été commises dans la gestion du Syndicat, il a droit à réparation. »
Ainsi, la demande de M. Bouchard n’est pas rejetée, mais fortement encadrée, ce dernier étant désormais dans l’interdiction de déposer tout nouvel acte de procédure additionnel, et ce, pour tous les dossiers « présent ou futur de la Cour du Québec ou de tout tribunal administratif ou organisme quasi judiciaire impliquant directement ou indirectement l’une des parties à la présente instance » sans l’autorisation du juge en chef de la Cour du Québec. La Cour s’assure donc que la justice suive son cours sans que M. Bouchard ne fasse, de nouveau, une utilisation excessive ou déraisonnable des ressources judiciaires.