Cet article a également fait l’objet d’une publication dans La référence: « Commentaire sur le Projet de loi 96: langue française et copropriété – Des effets en copropriété ».
Initialement présenté le 13 mai 2021, le Projet de loi 96 ¹ (« PL 96 ») a été sanctionné le 1er juin 2022 après avoir fait l’objet d’une série d’amendements. Ce texte a des incidences importantes en copropriété divise. Des contestations judiciaires pourraient avoir lieu. Dans l’intervalle, le PL 96 s’applique et doit être connu et compris des copropriétaires et des acteurs en copropriété.
Déclaration de copropriété (« Déclaration »), modifications à celle-ci et autres contrats en copropriété divise
L’article 1060 C.c.Q. est modifié par le PL 96² comme suit (les parties nouvelles sont soulignées) :
« La déclaration, ainsi que les modifications apportées à l’acte constitutif de copropriété et à l’état descriptif des fractions, sont présentées exclusivement en français au Bureau de la publicité foncière. La déclaration est inscrite au registre foncier, sous les numéros d’immatriculation des parties communes et des parties privatives; les modifications ne sont inscrites que sous le numéro d’immatriculation des parties communes, à moins qu’elles ne touchent directement une partie privative. Ces modifications doivent être apportées exclusivement en français. Quant aux modifications apportées au règlement de l’immeuble, elles doivent l’être de manière expresse, dans un procès-verbal ou une résolution écrite des copropriétaires, et il suffit qu’elles soient déposées au registre tenu par le syndicat conformément à l’article 1070 .
Le cas échéant, l’emphytéote ou le superficiaire doit donner avis de l’inscription au propriétaire de l’immeuble faisant l’objet d’une emphytéose ou sur lequel a été créée une propriété superficiaire. »
Concrètement, le notaire recevant une Déclaration se voit imposer de la rédiger en français³. À défaut, la Déclaration ne pourra être présentée (publiée) au Bureau de la publicité foncière (« Registre foncier »). Il en est de même des modifications devant être reçues devant notaire (portant exclusivement ou comportant une modification à l’Acte constitutif). L’exigence est renforcée par des modifications4 aux articles 2984 et 3006 C.c.Q. L’officier de la publicité des droits serait en droit de refuser la publication d’un acte rédigé, en tout ou en partie, dans une autre langue que le français.
En revanche, une rédaction en français n’est pas imposée pour les modifications à la Déclaration simplement déposées au registre de copropriété. C’est-à-dire celles qui n’ont pas obligatoirement à être reçues devant notaire et à être publiées au Registre foncier (modifications au Règlement de l’Immeuble). Comme nous le verrons plus loin, elle pourrait tout de même être obligatoire vu l’ajout d’un nouvel article 1070.1.1 au Code civil du Québec en ce qui a trait aux documents se trouvant dans le registre (accessible aux copropriétaires) ou destinés aux copropriétaires.
Ces modifications sont entrées en vigueur dès la sanction du PL 96 soit le 1er juin 20225. Cependant, il y a une disposition transitoire6 prévoyant ce qui suit :
« Malgré les articles 1060, 2984 et 3006 du Code civil, modifiés respectivement par les articles 124, 125 et 126 de la présente loi, peut être présenté au Bureau de la publicité foncière exclusivement dans une autre langue que le français l’acte qui modifie ou corrige un autre acte qui y a été présenté avant le 1erjuin 2022 exclusivement dans cette autre langue »
En d’autres termes, les déclarations ou les modifications à celles-ci reçues en anglais avant le 1er juin 2022 pourront continuer d’être modifiées en anglais après cette date.
La Charte de la langue française (« Charte ») est également modifiée pour ajouter des spécifications quant à la langue (français) dans laquelle devraient être rédigés les :
- contrats d’adhésion ou comportant des clauses types7;
- actes de vente ou d’échanges8;
- contrats préliminaires9;
- notes d’information10; ou
- promesses d’achat11.
Toutefois, certains de ces documents « peuvent être rédigés exclusivement dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties », le cas échant, après avoir pris connaissance d’une « version en français ».
Registre de copropriété et documents destinés à un copropriétaire
Un nouvel article 1070.1.1 est inséré au C.c.Q.12 . Il se lit comme suit :
« Le registre et les documents tenus à la disposition des copropriétaires ainsi que tout document rédigé par le syndicat à l’intention d’un copropriétaire doivent être rédigés en français. L’Office québécois de la langue française veille à l’application du premier alinéa comme s’il s’agissait d’une disposition de la Charte de la langue française (chapitre C-11). » (Nos soulignés)
L’article 1070 C.c.Q. donne la liste des « documents tenus à la disposition des copropriétaires ». Citons notamment :
- les procès-verbaux des assemblées des copropriétaires et des réunions du conseil d’administration, les résolutions écrites;
- le Règlement de l’Immeuble et ses modifications;
- les états financiers;
- la déclaration de copropriété;
- les copies de contrats auxquels le syndicat est partie;
- une copie du plan cadastral;
- les plans et devis de l’immeuble bâti;
- les certificats de localisation de l’immeuble;
- le carnet d’entretien;
- l’étude du fonds de prévoyance;
- la ou les descriptions des parties privatives;
- et, tous autres documents et renseignements relatifs à l’immeuble et au syndicat ou prévus par règlement du gouvernement.
Doit-on en conclure que tous ces documents doivent être rédigés ou, à tout le moins, tenus à disposition des copropriétaires (rédigés ou traduits) en français?
Si tel est le cas et alors que l’on n’impose pas directement (1060 C.c.Q.) que les règlements d’immeuble (modificatifs) soient rédigés exclusivement en français, on exige qu’ils soient tenus à disposition des copropriétaires (rédigés ou traduits) en français. Ce qui revient indirectement au même. Cette rédaction ou traduction sera-t-elle uniquement sur demande ou d’office? Pensons par exemple à une copropriété entièrement anglophone.
De plus, on impose que ce soit le cas pour une série imposante de documents, allant des contrats aux études de fonds de prévoyance ou carnets d’entretien, et en passant par la Déclaration elle-même (qui peut avoir été rédigée en anglais avant le 1er juin 2022!).
Lorsqu’on sait que les mots « tous autres documents et renseignements relatifs à l’immeuble ou au syndicat ou prévus par règlement du gouvernement » couvrent encore bien d’autres choses (opinions juridiques, rapports d’expertises, par exemple), cela pourrait donner quelques sueurs froides à bien des conseils d’administration bénévoles.
Quant aux documents du syndicat destinés aux copropriétaires, on songe aux avis de convocation d’assemblées et documents joints, aux avis de cotisations aux charges communes, aux communiqués, aux lettres d’infractions, etc.
L’avocat mandaté par le syndicat pour envoyer une mise en demeure destinée à un copropriétaire (même anglophone) serait-il tenu de rédiger ou de traduire celle-ci en français? Une telle mise en demeure n’est pas rédigée par le syndicat, mais à sa demande.
Ce PL 96 passera-t-il le test des contestations tous azimuts annoncées? L’avenir le dira. En l’état actuel des choses, et là encore, cette disposition est entrée en vigueur le 1er juin 202213.
[1] Projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français.
[2] Art. 124, PL 96.
[3] Le 13 septembre 2013, la Chambre des notaires du Québec avait déjà émis un communiqué sur ce sujet à la suite d’une prise de position de l’Office québécois de la langue française (« OQLF »); voir également : La nature juridique de la déclaration de copropriété, dans Christine GAGNON, La copropriété divise, 5e édition, Yvon BLAIS, Montréal, 2020, p. 82 et ss., no 93, EYB2020COD11.
[4] Art. 125 et 126, PL 96.
[5] Art. 201, PL 96.
[6] Art. 196, PL 96.
[7] Art. 55 de la Charte; art. 44, PL 96.
[8] Art. 55.1 (nouveau) de la Charte; art. 45, PL 96.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Art. 124.1, PL 96.
[13] Art. 201, PL 96.