Par Me Ludovic Le Draoullec
Le jour même de l’assemblée, peut-on reformuler, compléter ou amender (modifier) le texte d’une résolution proposée au vote des copropriétaires ? Pour plusieurs raisons, nous devons répondre par la négative. Le président d’assemblée ne devrait pas autoriser de telles modifications séance tenante.
En France
En France, la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a décidé le 16 septembre 2015 que lors de l’assemblée des copropriétaires, le président d’assemblée qui soumet au vote un projet de résolution peut l’amender séance tenante à la seule condition de ne pas la dénaturer, c’est-à-dire d’en modifier totalement son objet.
Ainsi, en France, la seule latitude du président d’assemblée est de « reformuler sans dénaturer ». Il ne peut tenter d’ajouter un projet de résolution, ou encore de le reformuler en le dénaturant.
Au Québec, en droit corporatif
Bien que le Code civil du Québec ne nous donne pas de réponse claire, il est intéressant d’examiner ce qui est établi en droit des compagnies. Dans les sociétés par actions au Québec, seules les questions décrites dans l’avis de convocation peuvent être traitées à l’assemblée. Si une autre question que celle prévue à l’avis de convocation est traitée, la décision prise est invalide, mais l’assemblée ne l’est pas.
Quant à savoir si le texte d’un projet de résolution peut être amendé séance tenante, l’auteur Paul Martel pense que oui tant que la résolution qui en résulte n’est pas contraire à celle initialement annoncée dans l’avis de convocation. Mais l’auteur souligne que toute procuration d’un actionnaire représenté à une assemblée où l’on ferait un tel amendement devra inclure le pouvoir discrétionnaire du mandataire de se prononcer sur tout amendement de question. Si ce n’était pas le cas, il est d’avis que la procuration ne serait pas signée en toute connaissance de cause, puisque signée seulement sur la foi des textes de résolution présentées dans l’avis de convocation initial.
Il faut toutefois noter qu’il existe plusieurs décisions judiciaires restreignant les possibilités d’amendement séance tenante aux seules corrections d’erreurs cléricales ou grammaticales des résolutions… La question de l’amendement séance tenante n’est donc pas complètement tranchée en droit corporatif, mais laisse assez peu de latitude.
Au Québec, en copropriété : quelle solution?
En copropriété, rappelons d’abord que, dans les 5 jours où il reçoit son avis de convocation à l’assemblée (envoyé par le conseil d’administration du syndicat), tout copropriétaire peut envoyer une demande d’ajout de question(s) ou de projet(s) de résolution. Le conseil d’administration procède alors, si c’est justifié, à l’envoi d’un ordre du jour révisé à tous les copropriétaires, avant l’assemblée.
C’est avec ce mécanisme précis prévu par l’article 1088 C.c.Q. que les copropriétaires peuvent faire valoir leurs intentions de soumettre au vote une version amendée d’un projet de résolution proposé dans l’ordre du jour initialement envoyé par le conseil d’administration.
N’oublions pas que l’article 348 C.c.Q. prévoit que si tous les copropriétaires convoqués sont présents et qu’ils consentent tous à ce qu’un projet de résolution soit amendé séance tenante, le vote est alors possible. En pratique dans les copropriétés de plus de dix unités, il est rare d’avoir tous les copropriétaires de l’immeuble réunis en même temps dans la salle.
L’avis de convocation à l’assemblée est un document majeur de toute copropriété au Québec : il doit contenir tous les documents relatifs à la reddition de compte du conseil d’administration (états financiers, budget prévisionnel, rapport du conseil), les projets de résolution et l’ordre du jour complet des points abordés. Les décisions qui seront prises doivent être clairement indiquées. Personne ne doit être pris par surprise le soir de l’assemblée.
Ainsi, nous sommes d’opinion que le président d’une assemblée de copropriétaires ne doit soumettre au vote des copropriétaires que les questions et les projets de résolution qui ont été divulgués dans l’avis de convocation initialement envoyé par le conseil d’administration, ou dans l’ordre du jour révisé, sans aucune possibilité de les amender. En effet, la possibilité d’amendement « sans dénaturation » autorisée en France depuis 2015 nous semble donner place à beaucoup trop de subjectivité entre les mains du président d’assemblée.
Au Québec, certains auteurs plaident qu’un amendement séance tenante est possible si le texte en résultant « n’impose pas plus de restrictions aux copropriétaires que ce qui était annoncé dans l’avis de convocation » ou si « il en impose moins ». Or, il s’agit selon nous d’une matière totalement subjective et ni le président d’assemblée, ni un copropriétaire, ni un administrateur, ne peut se substituer aux copropriétaires absents à l’assemblée et décider ce qui, pour eux, impose plus ou moins de restrictions.
Exemple : Un projet de règlement d’immeuble impose le dépôt d’une somme de 2 000 $ à titre de caution pour tout copropriétaire louant son appartement. Le soir venu, pas moins de 30% de l’immeuble a décidé de ne pas venir et n’a pas signé de procuration. On décide de proposer plutôt un montant de 500 $. Cet amendement est-il, selon vous, plus restrictif ou moins restrictif? Pour un copropriétaire locateur, il l’est moins. Pour un copropriétaire occupant qui veut limiter les locations dans son immeuble, il l’est plus…
Finalement, il s’agit aussi d’une question de consentement libre et éclairé des copropriétaires présents à l’assemblée. Nous sommes d’avis que leur consentement ne peut valablement et librement s’exprimer sur une proposition qui leur est soumise séance tenante puisqu’ils n’ont pas eu l’occasion d’y réfléchir, de peser le pour et le contre, ou même de consulter un juriste. C’est pourtant toute la latitude, la transparence et la liberté que leur octroie l’encadrement légal de l’avis de convocation.