Par Me Pierre-Alexis Bombardier et Me Clément Lucas
Ce jugement de la Cour du Québec – division des petites créances concerne d’abord la demande de jonction de trente-deux (32) dossiers différents tous portés par des copropriétaires du même immeuble détenu en copropriété divise situé à Montréal. Ceux-ci réclament tous réparation auprès de leur vendeur, soit le promoteur de la phase 2 du projet, et du notaire instrumentant suivant le paiement d’une cotisation spéciale levée pour le paiement d’honoraires extrajudiciaires encourus par leur Syndicat dans le cadre d’une poursuite en vices cachés contre plusieurs entités responsables de la construction de la phase 1.
Les demandeurs plaident tous qu’ils n’ont pas été informés de ladite poursuite et que la cotisation spéciale qu’ils ont dû assumer constitue elle-même un vice caché. Après avoir revu les principes généraux en la matière ¹, la Cour joint les différentes instances.
L’honorable Luc Huppé j.c.q. fait à ce sujet le commentaire suivant : Il n’existe pas de mécanisme d’action collective devant la Cour du Québec. En outre, les circonstances peuvent faire en sorte que la possibilité accordée à des personnes ayant un intérêt commun dans un litige de mandater l’une d’elles pour agir en justice pour leur compte s’avère impraticable. La jonction d’instances représente donc une mesure particulièrement appropriée lorsque de nombreux justiciables faisant partie d’une même collectivité ou d’un même groupe sont affectés par une situation juridique similaire et exercent séparément devant la Cour du Québec des recours destinés à faire valoir leurs droits à ce sujet. Le contexte spécifique de la détention d’un immeuble en copropriété divise se prête à une telle mesure.
Ce dossier est une nouvelle illustration de l’institution en Cour du Québec de dossiers ayant par leur ampleur monétaire globale, réunis ensemble, une importance telle qu’il aurait dû être introduit en Cour supérieure s’ils l’avaient été via le Syndicat et non par chaque copropriétaire pris individuellement.
La demande sous l’article 1080 al.2 C.c.Q. est, par ailleurs, rejetée, le Tribunal étant d’avis que les conditions requises n’ont pas été rencontrées. En effet, le Syndicat n’aurait pas démontré qu’il subirait un préjudice sérieux et irréparable si le défendeur demeurait propriétaire.
Le Tribunal se penche par la suite sur la demande de suspension du promoteur 9232 qui plaide le risque de jugement contradictoire en raison de la poursuite en cours susmentionné. Or, il appert qu’aucune des parties impliquées dans le dossier des « petites créances » n’est impliquée dans le cadre du dossier en Cour Supérieure et que la demande introductive d’instance en Cour supérieure spécifie que l’immeuble de la phase 2 n’est pas visé par son recours.
Conséquemment, la Cour détermine qu’il n’y a pas de risque de jugements contradictoires (pas de risque de doubles condamnation) et que le degré de connexité n’est pas suffisant pur justifier la suspension d’instance considérant que « les litiges ne reposent pas sur le même fondement juridique et ne soulèvent pas les mêmes points de droit ».
Le Tribunal conclu que, peu importe le résultat du litige en Cour supérieure, les copropriétaires auront eu à acquitter des cotisations spéciales.
Une déclaration de copropriété, document constitutif d’un Syndicat de copropriété, est un contrat soumis aux règles générales de droit civil prévues aux articles 1378 ss. du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). Conséquemment, la validité d’un tel contrat est soumise à « l’échange de consentement entre des personnes capables de contracter » ².
Or, dans le présent cas, les « copropriétaires » ont tous reconnu, lors de l’audience, avoir signé la déclaration de manière libre et volontaire. La question centrale était, ici, de déterminer si le contrat sui generis à l’étude est valide, et ce, malgré le non-respect de nombreuses formalités nécessaires à la constitution copropriété (forme notariée³, publication au registre foncier⁴ et absence d’immatriculation au registraire des entreprises ⁵).
Cette question s’impose afin de trancher le litige qui oppose les « copropriétaires » qui se reprochent mutuellement de nombreux accros à ladite déclaration de copropriété et à leurs devoirs à titre « d’administrateurs » et « copropriétaires ». Des sommes considérables sont réclamées de part et d’autre à titre de dommage d’intérêts et de dommages punitifs.
Après avoir passé en revue les deux positions doctrinales sur la question, la Cour est d’avis que le non-respect des formalités susmentionnées emporte la nullité relative de la déclaration. Conséquemment, les défendeurs n’ayant pas demandé la nullité relative et la Cour ne pouvant pas la soulever d’office, la déclaration de copropriété est considérée comme valide.
Ainsi, le Tribunal se penche sur les questions relatives aux fautes reprochées par chacune des parties dans le cadre de leur vie en copropriété divise et chacune d’entre elles se voit condamnée à indemniser l’autre.
À cet égard, la présente décision sera vraisemblablement réétudiée par la Cour d’appel, celle-ci ayant été portée en appel dans les trente (30) jours suivant sa transmission aux parties. Il convient à cet égard de rappeler que la Cour d’appel a encore récemment rappelé qu’une déclaration de copropriété ne pouvait faire l’objet de modification tacite et que le formalisme prévu par le Code est substantif ⁶.
Le Tribunal de première instance conclut ici à la nullité relative du contrat étudié, car elle juge que le non-respect des prescriptions de formes des articles 1059 et 1060 emporte uniquement la nullité relative d’un acte.
Ces prescriptions auraient été édictées pour la protection d’intérêts particuliers au sens de l’article 1419 C.c.Q. uniquement et non pour la protection de l’intérêt général (1417 C.c.Q.). Cette position prend notamment appui sur la présomption de nullité relative contenue à l’article 1421 C.c.Q.
Or, bien que les articles susmentionnés n’établissent pas expressément le caractère de nullité qu’emporte le non-respect des conditions de formes qui y sont énoncées, d’autres arguments plaident en la faveur de la nullité absolue (nullité qui peut être soulevée d’office par la Cour). À cet égard, il suffit de référer à la protection accrue qu’offre aux promettants-acheteurs l’obligation de notarier et de publier au registre foncier une déclaration de copropriété.
¹ Laraya c. Les développements Nordelec (Phase 1) inc., 2021 QCCQ 8185, par. 12 ss. (voir notre actualité antérieure à ce sujet)
² Article 1385 Code civil du Québec (« C.c.Q. »)
³ Article 1059 C.c.Q.
⁴ Article 1060 C.c.Q.
⁵ Article 21 de la Loi sur la publicité légale des entreprises.
⁶ Syndicat des copropriétaires du 310, 320, 330 et 340 boulevard Industriel c. 9322-0549 Québec inc., 2023 QCCA 892, (voir notre actualité antérieure à ce sujet)